Ce qui d'emblée frappe à la lecture du « Traité du rebelle », petit ouvrage écrit en 1951, dense et lumineux, d'un auteur que l'on ne connaît pas encore assez, c'est son actualité. Sans doute en est-il ici comme du « Discours de la servitude volontaire », de La Boétie : il traversera les siècles avec la légèreté d'un texte sans âge, offrant ses ressources à tous les peuples écrasés par un pouvoir totalitaire, en appelant sans délais à un mouvement de résistance. Car quoi de plus banal que de constater, au fil des ans, le nombre toujours plus accablant de petits chefs, de dictateurs, et autres assemblées exécutantes plutôt qu'exécutives, dès lors qu'il n'y a plus de contre-pouvoir ? Résister, c'est alors le mot d'ordre le plus commun, le plus inactuel, qu'il faut sans cesse répéter, avec le courage qui chaque fois l'accompagne. Et si hic et nunc nous ne sommes pas en temps de guerre, sachons cependant repérer les censures, les autocensures, et les abus de pouvoir amoindrissant les libertés.
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Même si nous ne sommes pas sous le joug d'une dictature, nous ne sommes pas non plus sortis d'une ère où la Police est en hypertrophie, où, au lieu de protéger, elle tend à générer un sentiment d'insécurité. Car croiser partout des hommes en uniformes et armés provoque la peur, plutôt qu'elle ne l'atténue : elle nous confine dans un état d'urgence permanent, elle nous inquiète et finirait même par énerver : les armes, trop nombreuses, appellent la guerre, après que l'on s'est occupé de sa propre sécurité. Seules réponses face à la peur, cette grande peur que notre société est censée toujours éprouver, face à la délinquance, au vieillissement de la population, à la précarité, au chômage, et autres virus, les armes l'accentuent au lieu de nous en libérer, et se trompent de cible, n'atteignant que la surface d'un malaise profond dans les marges de notre société, marges qui se retrouvent au centre des dispositifs de surveillance et de contrôle continu : ainsi les armes finissent par générer la peur, au lieu de s'en dégager.
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le vote est-il toujours une manière d'expression libre et légale, où l'électeur, en pleine assurance de son pouvoir, peut faire valoir son opposition ? N'est-il pas bien plutôt un questionnaire guidé, l'espace d'une résistance toute surveillée, qui n'admet pas même le "non" du silence abstentionniste, ou le bulletin blanc ? Car au fond les décisions sont déjà prises, et tout n'est affaire que de communication. Cette forme de rébellion, pauvre dans son effet, n'est pas à la hauteur des exigences du temps, comme la demande d'une démocratie participative, en lieu et place de la désaffection logique du politique qui sévit chez les jeunes générations en particulier.
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A dire vrai, nos gouvernements se sont éloignés de longue date de leur "base", le peuple, avec l'opinion implicite que la minorité éclairée des dirigeants pouvait administrer une majorité confuse, inculte et naïve, puis se reconduire pour les prochains mandats.
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C'est dans ce contexte que naît l'élitisme particulier de Jünger, en 1951 : faire confiance à une infime frange de la population, qualifiée de Rebelle, quitte à ce qu'elle n'en représente que 1 %, était pour lui chose acquise, selon un ordre de valeurs opposé à l'ordre des chiffres, de toute façon truqués. Animée d'une puissante force et de courage, cette élite devait assurer le salut d'une société écrasée sous le joug des milices et des censeurs, et lutter contre la nomenklatura cooptée qui inspirait et renforçait la crainte des peuples, balancés entre les blocs Est et Ouest. Sa minorité raisonnable ouvrait à des valeurs humanistes, appelait de grands hommes et femmes qui pourraient découvrir de nouveaux champs de liberté, tandis que de l'autre côté l'on subissait les ferments de diktat, les minorités intégristes et totalitaires évacuant les urnes et exerçant des contraintes de tout ordre.
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Chaque époque a sa forme de liberté, en fonction de cette nécessité. Dans leur tension se fait l'histoire, nous dit Jünger. Dans ce jeu de forces contraires, quelques-uns sont capables de traverser les déserts, à la poursuite de leurs rêves, et de rompre une logique déshumanisante. Les autres cherchent leur salut mais ne trouvent que vide à combler dans le chaos des villes.
Lire le texte au complet sur l'excellent blog de Michèle
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Même si nous ne sommes pas sous le joug d'une dictature, nous ne sommes pas non plus sortis d'une ère où la Police est en hypertrophie, où, au lieu de protéger, elle tend à générer un sentiment d'insécurité. Car croiser partout des hommes en uniformes et armés provoque la peur, plutôt qu'elle ne l'atténue : elle nous confine dans un état d'urgence permanent, elle nous inquiète et finirait même par énerver : les armes, trop nombreuses, appellent la guerre, après que l'on s'est occupé de sa propre sécurité. Seules réponses face à la peur, cette grande peur que notre société est censée toujours éprouver, face à la délinquance, au vieillissement de la population, à la précarité, au chômage, et autres virus, les armes l'accentuent au lieu de nous en libérer, et se trompent de cible, n'atteignant que la surface d'un malaise profond dans les marges de notre société, marges qui se retrouvent au centre des dispositifs de surveillance et de contrôle continu : ainsi les armes finissent par générer la peur, au lieu de s'en dégager.
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le vote est-il toujours une manière d'expression libre et légale, où l'électeur, en pleine assurance de son pouvoir, peut faire valoir son opposition ? N'est-il pas bien plutôt un questionnaire guidé, l'espace d'une résistance toute surveillée, qui n'admet pas même le "non" du silence abstentionniste, ou le bulletin blanc ? Car au fond les décisions sont déjà prises, et tout n'est affaire que de communication. Cette forme de rébellion, pauvre dans son effet, n'est pas à la hauteur des exigences du temps, comme la demande d'une démocratie participative, en lieu et place de la désaffection logique du politique qui sévit chez les jeunes générations en particulier.
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A dire vrai, nos gouvernements se sont éloignés de longue date de leur "base", le peuple, avec l'opinion implicite que la minorité éclairée des dirigeants pouvait administrer une majorité confuse, inculte et naïve, puis se reconduire pour les prochains mandats.
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C'est dans ce contexte que naît l'élitisme particulier de Jünger, en 1951 : faire confiance à une infime frange de la population, qualifiée de Rebelle, quitte à ce qu'elle n'en représente que 1 %, était pour lui chose acquise, selon un ordre de valeurs opposé à l'ordre des chiffres, de toute façon truqués. Animée d'une puissante force et de courage, cette élite devait assurer le salut d'une société écrasée sous le joug des milices et des censeurs, et lutter contre la nomenklatura cooptée qui inspirait et renforçait la crainte des peuples, balancés entre les blocs Est et Ouest. Sa minorité raisonnable ouvrait à des valeurs humanistes, appelait de grands hommes et femmes qui pourraient découvrir de nouveaux champs de liberté, tandis que de l'autre côté l'on subissait les ferments de diktat, les minorités intégristes et totalitaires évacuant les urnes et exerçant des contraintes de tout ordre.
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Chaque époque a sa forme de liberté, en fonction de cette nécessité. Dans leur tension se fait l'histoire, nous dit Jünger. Dans ce jeu de forces contraires, quelques-uns sont capables de traverser les déserts, à la poursuite de leurs rêves, et de rompre une logique déshumanisante. Les autres cherchent leur salut mais ne trouvent que vide à combler dans le chaos des villes.
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