Saturday, 15 January 2011

Le mot "Tapette" devient interdit au Canada



Je connais le mot faggot (tapette), mais je ne connaissais pas le Conseil canadien des normes de la radiotélévision, encore moins sa section des Maritimes, qui vient de donner raison à une plaignante gaie de Terre-Neuve qui déplorait qu'une station locale ait fait jouer Money for Nothing, de Dire Straits, dans laquelle on entend?: That little faggot got his own jet airplane/that little faggot he's a millionaire.

Reste que, sur le fond, l'affaire est moins frivole qu'il n'y paraît, comme chaque fois qu'il est question de la norme. Chaque fois qu'il faut décider de ce qui est acceptable ou pas. Faggot ne l'est pas, bon. Tapette non plus. Vieux non plus. Aveugle non plus. Infirme non plus. Juif non plus, dans l'emploi qu'en fait Shakespeare dans Le marchand de Venise.
Nègre non plus, comme dans Les aventures de Huckleberry Finn, le grand classique de la littérature américaine dans lequel Mark Twain emploie 219 fois le mot nigger (et ses variantes).

Oui: 219 fois. Un abruti s'est fait un devoir non seulement de les compter, mais de réécrire les aventures de Huck en remplaçant 219 fois le mot nègre par le mot esclave. Aux applaudissements ravis de quelques nonos comme lui? Pas du tout. Aux applaudissements ravis d'éditeurs, de censeurs, de critiques, de lecteurs. Un assez large consensus que je nomme le consensus hygiénique parce qu'animé par une incroyable volonté de propreté, voire de pureté.

On modifiera ce qu'on voudra dans l'oeuvre de Dire Straits sans que cela me fasse un pli sur le ventre. Mais c'est le principe.

Modifier des oeuvres à des fins d'hygiène sociale? Si on ôte cet innocent faggot à Mark Knopfler, imaginez ce que les censeurs rêvent de faire à Sade, à mon maître Louis-Ferdinand, à Genet (le faggot), à Nabokov, à Proust (le faggot demi-juif), à Hölderlin, qui annonça les nazis, à Joyce quand on aura décidé que l'illisibilité est une insulte au lecteur, et imaginez la taille de la feuille de vigne qu'on jettera sur L'Origine du monde, de Courbet.
C'est le principe, disais-je, le principe derrière cette «modification convenable», qui convient à une hygiène publique dont l'idée même qu'elle puisse exister, et qu'elle obéisse à des normes, est proprement affolante.
Et encore, on n'a parlé jusqu'ici que de la norme langagière. Mais qu'on pense à toutes les autres normes, et en haut de la liste celles qui tournent autour de la santé et de ses sous-thèmes, la bouffe, l'activité physique.
Nagez, pédalez, courez, ne mangez pas gras, allaitez vos enfants jusqu'à 12 ans et demi, ne dites pas faggot, ne dites pas nègre. N'oubliez pas, vous vous devez de contribuer à améliorer convenablement la société.

Ce n'est déjà plus une question de morale, mais de bonne hygiène.
Pierre Foglia

Voir également :
L’emprisonnement du Langage
La Publicité, le conditionnement au quotidien
Police de la pensée
Techniques de manipulation des masses
Sept ans d’insultes racistes

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