Tuesday, 25 January 2011

Hypersexualisation mon cul

Comme vous le savez tous pour l’avoir entendu ad nauseam sur toutes les tribunes publiques bien pensantes, le mot « hypersexualisation » désigne la plupart du temps le fait de sexualiser un phénomène qui ne doit pas l’être — surtout en fait l’érotisation de fillettes (les habiller en femmes, leur permettre de se maquiller pour aller à la maternelle, leur acheter un soutien-gorge et des talons hauts, les laisser porter des strings et les inscrire à des concours de Miss, et ainsi de suite) et pas tellement celle des garçons (qui, semble-t-il, ne peuvent en aucune manière être transformés en objets de désir par l’ajout d’accessoires). Évidemment, ceci présuppose que les enfants sont des êtres asexués, rigoureusement dépourvus de tout comportement sexuel, qui deviennent fétichisés par une sorte de perversion collective dont ils sont les victimes inconscientes.
Sinon, on se réfère par « hypersexualisation » à la « sexualisation de l’espace public »; la sexualité et l’érotisme, théoriquement confinés à la vie privée, envahiraient — voire, pollueraient — la sphère publique. Ce qui présuppose qu’il existe réellement une sphère publique à envahir et à polluer, exempte de comportements sexuels et remplie d’individus asexués… ce qui me semble hautement douteux. Au mieux, ce qu’on désigne sous le nom d’espace public a toujours été au mieux un lieu où se jouaient tous les rituels de séduction, au pire un endroit où tous devaient tant bien que mal cacher leur sexe pour éviter les foudres de la morale établie.

Quoi qu’il en soit, la discussion sur l’hypersexualisation génère beaucoup de « ah-mon-dieu-où-s’en-va-le-monde», de «c’est-horrible-d’exposer-ces-jeunes-innocents-à-de-telles-monstruosités » et surtout, une suite sans fin de « l’amour-disparaît-la-famille-se-meurt-c’est-la-fin-de-la-civilisation-c’est-la-décadence-vite-tous-aux-abris ». À en croire les tenants de la thèse de l’hypersexualisation de la société, le sexe, surtout par sa représentation pornographique, occupe une trop grande place dans l’espace public, ce qui corrompt la jeunesse, opprime les femmes et mène à la déliquescence morale. Presque systématiquement, les solutions que ces gens proposent est un « encadrement » de la pornographie et de la prostitution (ce qui veut dire leur interdiction), de l’éducation à une saine sexualité (c’est-à-dire, vécue à l’abri des regards dans le cadre conjugal et monogame).
Or, il m’apparait flagrant que c’est plutôt l’appauvrissement, voire la misère sexuelle qui définit le mieux notre époque. Car dans une société basée sur la concentration du pouvoir politique, la propriété et le capitalisme appauvrit tous les aspects de la vie des individus qui la composent et la subissent, même les plus intimes.

Le processus qui a mené à l’affaiblissement et la désintégration de la famille est exactement le même qui est à l’œuvre pour accentuer l’hypersexualisation de la culture et entretenir la misère sexuelle : la marchandisation et la réification des relations humaines. La marchandisation de la sexualité est, de toute évidence, aussi vieille que la prostitution — et donc, que la civilisation, on n’a qu’à lire l’Épopée de Gilgamesh pour s’en convaincre. Le phénomène s’est toutefois emballé depuis une soixantaine d’années, avec l’instauration de l’État providence et du consumérisme. La publicité omniprésente nous expose à une séduction perpétuelle, une aguiche sexy et charismatique qui provoque en nous une envie irrépressible de se procurer de l’antisudorifique, du dentifrice, de la bière, une voiture, du parfum. Les films, les émissions de télé, les magazines, les clips sur internet — en fait, l’ensemble des médias — nous vendent non seulement des objets de consommation, mais aussi des idées, celles liées à la facilité d’attirer des hommes et des femmes à la beauté sans faille dans notre lit. On nous a convaincu de désirer des images plastiques irréelles, des fictions sexuelles par définition inatteignables. Ces désirs artificiels et manufacturés sont, vous vous en doutez bien, au service du capital, puisqu’ils garantissent une insatisfaction chronique qui stimule le consommateur à acheter dans un effort désespérer et sans fin d’atteindre une chimérique satisfaction.

Ce qu’on désigne actuellement sous le vocable de « libération sexuelle » n’est en fait que la marchandisation définitive de la sexualité humaine. La relation sexuelle, voire même la relation amoureuse, est maintenant régie par les strictes lois du marché. Voilà pourquoi que dans une société libérale et capitaliste avancée, on offre sur le marché des marchandises symboliques des images de sexualité hors mariage, d’homosexualité et de bisexualité, ce qui rend ces pratiques de plus en plus acceptables et acceptées par la majorité — d’une façon qui, évidemment, est compatible avec les besoins du marché. En fait, ces pratiques ce sont transformées en identités auxquelles nous sommes tous demandés de nous conformer. Par exemple, l’homosexualité en est arrivée à demander bien plus que de fricoter avec des individus de son propre sexe : elle est devenue un « mode de vie », une identité qui implique le conformisme, des comportements prévisibles, des endroits à fréquenter, des produits spécifiques à consommer. Être gay, lesbienne, bi, adepte du bdsm ou être fétichiste des pieds signifie s’associer à une sous-culture qui agissent comme des niches de marché complémentaires au couple hétérosexuel et à la famille patriarcale.

La marchandisation de la sexualité place toutes les pratiques sexuelles dans un contexte d’offre et de demande. Sur le marché sexuel, tous essaient de se vendre au plus offrant en tentant de se procurer l’objet de ses désirs au plus bas coût. Si bien que la sexualité en est venue à être liée à la conquête, à la manipulation, à la compétition, à la lutte pour le pouvoir. En résultent des jeux absurdes et pitoyables, comme jouer les allumeuses ou les saintes nitouches, ou pire encore, user de violence psychologique et physique pour parvenir à ses fins. Dans un tel régime, la jalousie et la possessivité ne peuvent que se développer et devenir omniprésentes — après tout, dans un contexte de marché, quoi de plus normal que d’agir en propriétaire avec ce qu’on a légitimement acheté?
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Voilà le contexte social dans lequel nous vivons notre sexualité. Le capitalisme s’accommode à merveille de mouvements de libération partiels qui lui sont très utiles pour récupérer la révolte et pour soumettre de plus en plus d’aspects de notre vie aux lois du marché.
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Nous sommes dans une société qui appauvrit tout ce qu’elle touche. Ce qu’on désigne sous le nom d’hypersexualisation est en réalité le symptôme de notre hyposexualisation. La libération sexuelle — dans son sens véritable, c’est-à-dire notre libération en tant qu’individus sexués, qui nous permettrait d’explorer la plénitude de l’abandon érotique à l’autre (ou mieux, aux autres!) — n’a aucune chance de se réaliser au sein de notre société, parce que cette société exige une sexualité appauvrie, réduite au rang de marchandise. Comme elle exige que toutes les relations que nous ayons avec nos semblables soient de nature transactionnelle, mesurables, calculées, vidées de leur sève et de leur substance.
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